[Lecture libre] fierté : n. f., sentiment élevé de sa propre valeur
Peut-être est-ce moi le fou puisque je n’ai rien compris et
je ne saisis pas la réelle signification du mot « fierté ». La
définition du dictionnaire, qui parle d’un « sentiment élevé de sa propre
valeur », est obsolète. Aujourd’hui, « fierté » est un mot banalisé,
un mot qu’on utilise pour montrer qu’on n’a pas honte. « Je suis fier d’être noir », « je suis fier d’être américain », « je suis fier d’être homosexuel ». Scander sa fierté est
devenu une arme parmi tant d’autres contre les obstacles, contre les préjugés.
Vous ne m’aimez pas parce que je suis comme ça, mais tenez-vous bien, car je
suis fier !
Ça ne veut rien dire.
Je n’ai pas de raison d’être fier d’avoir cette identité.
Dois-je être fier d’être un homme, alors que j’avais
50 % de chances d’être une femme ?
Dois-je être fier de la couleur de ma peau alors que la
génétique ne m’a pas demandé mon avis ?
Dois-je être fier d’une nationalité que je n’ai pas
choisie ?
Si j’avais eu le choix, est-ce que je ne serais pas aujourd’hui
un blond aux yeux bleus en Islande ?
Ou plutôt un chevalier en Mongolie ?
Je ne suis pas fier, mais je n’ai pas honte.
C’est peut-être moi qui ne saisis pas l’étendue de la notion
de fierté, qui ne saisis pas la force et la lutte derrière ce mot.
Comment était-ce à l’époque de ma grand-mère ? Femme,
africaine, pauvre et analphabète ? Négresse dans un empire colonial ?
Était-elle fière de son état ? Était-elle fière d’être noire lors des
guerres d’indépendance ? Était-elle fière d’être africaine pendant les
envies de nationalismes ? Ou au contraire, comme moi, elle n’avait pas
honte d’être qui elle était ? Qu’en penserait-elle aujourd’hui si elle
voyait ses enfants et ceux des autres derrière ces barreaux d’arrogance et de
vanité, scandant des mots qu’ils ne comprennent qu’à moitié ? La couleur
de notre peau est la première chose que l’autre remarque en nous, mais elle ne
fait pas de nous ce que nous sommes réellement. Bien du sang, des larmes et de
la sueur seront versés sur les mots et les banderoles, les menottes et les manifestations,
les envies... et les fiertés.
Mais peut-être que là aussi, ce ne sera pas de la fierté,
mais de la dignité.