Puis est venue la question : on cause quoi, en fait ?
Bonne question, merci de l’avoir posé…
Plusieurs mois se sont passés, puis ça m’est venu : et si nous discutions d’un thème qui nous est commun et cher à toutes les deux ?
Et si nous discutions de nos héroïnes d’ici et d’ailleurs ?
Chloé raconte des histoires de héro(ïne)s qui se partagent entre l’Amérique du Nord et la France, qui doivent souvent traverser l’océan pour réaliser leurs rêves, comme dans Parce que c'est toi ou À sa rencontre (The Chateau by the River aux États-Unis). Et traverser les océans, c’est quelque chose qui nous connaît également, Chloé et moi.
Nos histoires sont très différentes dans leurs origines, mais elles ont un point commun : celui d’avoir influencé, d’une manière ou d’une autre, la façon dont nous avons construit et continuons de construire nos personnages.
[JO ANN] Je suis une Third Culture Kid, élevée « dans une culture qui n’est pas celle de mes parents ou de mon pays natal » (dixit Wikipédia). Quand je n’avais que quelques mois, nous avons traversé l’océan pour vivre à Cuba et mes parents ont ajouté la variable « école française » à l’équation.
Cette ambiguïté, entre l’ici et l’ailleurs, m’est tombée dessus, non pas à cause de mes origines ou de mon métissage, mais par toute une série de choix d’éducation qui remontent à très loin avant ma naissance.
[CHLOÉ] D’une certaine manière, l’étranger, l’autre, m’a toujours intéressée. Étonnamment pourtant, ce n’est pas cette curiosité vis à vis de l’ailleurs ce qui nous a poussés, l’Homme et moi, à choisir la voie de l’immigration. Notre vie en France ne nous plaisait pas, et nos situations professionnelles respectives rendaient difficile de trouver un emploi pour nous deux dans la même ville. On a pris des congés au Québec pour voir un peu si la vie à Montréal nous plairait et on a eu un coup de cœur.
Au retour de nos 10 jours de vacances, on filait au bureau de l’immigration du Québec à Paris pour prendre un dossier de demande de résidence.
Deux ans et demi plus tard, on posait nos valises sur le sol canadien.
Six ans après notre arrivée, on recevait notre nationalité canadienne.
Est-ce le multiculturalisme de ta vie qui a inspiré tes héroïnes?
Quand j’ai commencé à écrire des histoires, je ne me posais pas ce genre de question ! Mon premier texte, qui date du collège, mettait en scène un immeuble que j’avais appelé Tour de Babel et les habitants venaient du monde entier.
J’ai vraiment pris conscience de ce trait de caractère il y a deux ou trois ans, au détour d’une conversation. Par curiosité, j’ai regardé mes statistiques (j’ai un tableau magique avec tous mes héros) et, tous genres confondus, j’avais Benetton (on notera l’âge des gens qui comprendront la référence).
Aujourd’hui, sans toutefois changer ma façon de créer, je le fais de manière plus consciente. Parce que c’est important, pour moi, de montrer que le monde est vaste et qu’on devrait regarder un peu plus loin que la limite de nos horizons.
Pour ma part, dans le contexte de ma vie, et de mon rapport à l’écriture, écrire des héroïnes multiculturelles s’est imposé à moi de manière toute naturelle. Je vivais déjà depuis quelques années au Canada quand j’ai commencé à écrire des romans. J’ai joué avec plusieurs scénarios dans ma tête, mais l’envie de montrer aux amies restées en France ce qu’était ma vie au Canada, comment je vivais mon immigration, la distance, l’éloignement, ne me quittait pas.
Il y a une sorte de méconnaissance de ce que c’est que de vivre loin de ses racines de la part de ceux qui restent derrière. Les amis et la famille croient que tout est toujours rose, que comme on a fait le choix de partir, on ne regrette jamais rien. La vérité est toute autre, dans les faits.
Du moment qu’on est parti, c’est comme si on n’était plus vraiment chez soi nulle part. Comme si on était de partout et de nulle part à la fois. Trop française pour être complètement canadienne, trop canadienne pour être restée française. C’est ce que j’avais envie de montrer, de raconter, les choix que l’on fait, les luttes quotidiennes, et les conséquences que cela implique.
Quelle est l’héroïne qui te ressemble le plus ? Est-ce Claire, de Parce que c’est toi ? Jeune immigrée au Québec, traductrice, amatrice de geocaching ?
Clairement oui, c’est Claire, probablement parce qu’elle est née de mon besoin de parler de ma réalité, celle que je vis - mais en version guimauve, et la romance en plus (ma romance à moi, elle s’était déroulée bien avant! ♥). Il y a de moi dans chacune de mes héroïnes, mais Claire est celle qui me ressemble le plus.
Et pour toi? Y en a-t-il une qui te ressemble plus que les autres?
Récemment, je me suis rendu compte que même si mes personnages sont très divers par leurs origines, il n’y avait pas une seule qui avait bougé autant que moi ! Anaëlle des Yeux de Léon, est née et a toujours vécu à Montpellier. Elle aimerait voyager, mais comme mes anciennes camarades d’université, elle n’a jamais quitté la région. Mel, dans La Réelle Hauteur des hommes, est londonienne et a toujours vécu à Londres, mais elle part en vacances dans différents coins d’Europe. Pol, d’Aujourd’hui ne se termine jamais, parisienne, a décidé de migrer aux États-Unis après toute une vie à Paris.
Je ne sais pas ce que c’est, d’être “born and raised” à un seul endroit.
Par curiosité purement scientifique, j’aimerais créer une héroïne saltimbanque depuis toujours.
Par curiosité purement scientifique, j’aimerais créer une héroïne saltimbanque depuis toujours.
![]() |
Le Plateau de Claire © Chloé Duval |
Ou alors, j’essaie de transformer une des mille idées de Sigmund. Ce serait bien, aussi !
Y a-t-il un endroit que tes héroïnes connaissent et que tu ne connais pas encore ?
Sans la moindre hésitation, le château d’Alex et de Gabrielle dans À sa rencontre (encore une histoire d’héroïnes déracinées, tiens! ^^). Je ne le connais que par les photos et mes recherches. Je rêve d’aller le voir en vrai, celui qui a inspiré l’histoire, et qui a été à l’origine du déracinement de mes deux héroïnes. De tout ce que j’ai écrit, c’est l’endroit que je brûle le plus d’aller voir de mes yeux. Pas sûre que je ne verse pas quelques larmes, ce jour-là…
Et toi? De tous les lieux que tu as (d)écrits sans les avoir jamais vus, lequel aimerais-tu le plus visiter?
Ça va paraître étrange quand on a vécu dans plusieurs pays, mais parfois les plus proches sont ceux qui sont moins accessibles ! Je ne connais pas Londres, par exemple. J’ai toujours eu besoin d’un visa pour les Îles Britanniques, alors je n’ai jamais traversé la Manche parce qu’à l’époque, j’avais d’autres priorités et Schengen est bien assez vaste !
Mais 2019 arrive…
(Je dis ça…)
Au fait, j’adorerais suivre les pas de tous mes personnages ! Ça ferait une belle balade, non ?
Je plussoie complètement!! Je ferai volontiers la même chose!
On raconte souvent les histoires des héroïnes qui sont déjà sur place, venues d’ailleurs, déracinées ou pas, mais on ne raconte jamais l’avant, ce moment où on prend la décision, tu l’as remarqué ?
![]() |
Jardin Botanique © Chloé Duval |
On raconte souvent les histoires des héroïnes qui sont déjà sur place, venues d’ailleurs, déracinées ou pas, mais on ne raconte jamais l’avant, ce moment où on prend la décision, tu l’as remarqué ?
C’est vrai oui!!! Il va falloir remédier à ça!!
Quoi que, d’une certaine manière, je l’aborde vaguement dans À sa rencontre! Je n’en dirais pas plus, pour ne pas spoiler les personnes qui ne l’ont pas encore lu, mais finalement, on suit mes deux héroïnes avant le grand saut. C’est pas tout à fait la même chose que ce que j’ai vécu moi, ce moment où on a pris la décision, mais chaque parcours est différent. Chaque décision est motivée par des facteurs différents. L’amour revient souvent, d’ailleurs, dans la décision de partir définitivement… ^^
Et on raconte encore moins le pendant, tiens !
Toute ma vie, j’ai été fille d’expat ou fille d’immigré (les gens utilisent souvent l’un pour l’autre alors qu’ils ne veulent pas dire la même chose : immigré c’est à temps indéterminé, expatrié c’est pour une mission donnée pendant une durée déterminée) ou étudiante étrangère ou… ou... Mais je n’ai jamais raconté une histoire d’immigration.
Tu le ferais comment, toi ?
Si je devais écrire et parler de l’immigration en tant que telle, je pense que je ferais un roman chorale, avec différentes histoires d’immigration, certaines réussies...et d’autres pas. Parce qu’il y a un pas énorme entre rêver d’une vie ailleurs et la vivre.
Le vrai pas ! On n’a pas toujours la force nécessaire pour vivre ses rêves !
(Pour toutes les facettes de la vie.)
(vraiment oui!!!)
Si je prends l’exemple du Québec, j’en ai vu beaucoup arriver et avoir un choc parce qu’ils n’étaient pas préparés aux différences culturelles. Parce que les dizaines d’émissions que l’on voit tous les ans en France sur le rêve canadien sont à moitié mensongères et ne dévoilent pas toute la vérité, ni toute la réalité. Parce que nombreux sont ceux qui vivent mal l’éloignement, l’hiver, les spécificités de la culture nord-américaine. Parce qu’immigrer, c’est pas uniquement du rêve et des paillettes, mais c’est aussi des prises de tête et des obstacles à surmonter.
À qui le dis-tu !
Si je devais parler de l’immigration, je pense que je ferais taire mon moi guimauve et je ferais un récit réaliste qui ne cache rien des difficultés dont on ne parle pas dans les reportages.
Je parlerai du -40 en hiver et des narines qui gèlent.
Je parlerai de la culture de l’emploi qui embauche et débauche facilement.
Je parlerai de la difficulté de se faire des amis dans les premiers temps et de la solitude. Des démarches administratives qui n’en finissent pas.
Je parlerai des amis français que l’on se fait forcément qui repartent au bout de quelques années parce qu’ils n’ont pas réussi à s’intégrer, à s’adapter, et du déchirement que c’est à chaque fois.
Mais je parlerai aussi du grand coeur des Canadiens et des magnifiques paysages.
Je parlerai de la tolérance et du respect qui sont bien plus développés qu’en France.
Je parlerai des bibliothèques, du bilinguisme, de l’ouverture, du multiculturalisme canadien (parce que le Canada s’est construit avec l’immigration, depuis le début).
Je parlerai de tout, absolument tout, parce que je refuserai de mentir, ou de ne dire que des demi-vérités.
Je comprends pour le côté choral.
J’aimerais aborder ce thème, et montrer toutes les facettes, également, sans pour autant en faire un pamphlet. Parce que j’aime raconter des histoires réelles, presque banales, et l’immigration est d’une banalité ! :-D
Mais il me faut un peu de recul, encore.
Tiens, on pourrait faire un truc ensemble !
(Depuis le temps que j’essaie de nous trouver un projet à quatre mains ! :-p )
Oh oui, quelle merveilleuse idée!!!! ♥♥♥
(À noter dans la longue liste de bonnes idées…)
(*sort un de ses nombreux carnets et note*)
Merci, Chloé, d’avoir accepté d’être mon cobaye encore une fois ! ♥