[Mise à jour de l'article publié en mars 2017.]
« Je ne
peux pas fantasmer sur quelqu’un comme ça, ça ne me fait pas du tout
rêver. »
Pour une partie des lectrices, le fantasme est forcément « alpha ». La définition zoologique
basique et résumée dit que l’alpha est un mâle
dominant, les autres mâles se soumettent et les femelles s’offrent.
Il existe des sous-catégories d’alpha comme le bad
boy, l’alpha brute de décoffrage, ou le milliardaire, l’alpha puissant. (Il peut être les deux en même
temps.) Dans les deux cas, il est toujours très beau, magnétique ;
les autres hommes se prosternent (ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils sont
soumis, ils attendent peut-être juste le bon moment pour un coup foireux), et
les femmes s’offrent.
Quand on s’éloigne de cet archétype, on provoque deux sortes de réactions : soit les lectrices adorent, ravies de
lire autre chose, soit elles détestent.
Et elles détestent vraiment. Quand c’est le cas, ça me touche, ça me frustre,
non pas pour moi, mais pour tous ces personnages
atypiques (les miens et ceux des autres) qui n’ont pas la côte, et surtout,
surtout, pour tous ces héros de la vie quotidienne qui n’entrent pas dans ce
moule en téflon.
L’alpha est un héros
intemporel, façon Dracula. Il est blanc,
majoritairement américain, beau, charismatique, séducteur,
mystérieux et de préférence milliardaire. Je me demande souvent
pourquoi est-ce que millionnaire n’est pas suffisant, d’ailleurs. Que peut-on
faire avec tout cet argent ?
(Oui, je me pose des questions existentielles.)
(Oui, je me pose des questions existentielles.)
Le play-boy
milliardaire est James Bond version Yankee sans le gilet pare-balles et le
martini (quoique).
(Pendant que j’écris cette introduction, il y a Comment épouser un millionnaire qui
passe à la télévision, un film de 1953 (même mes parents n’étaient pas encore
nés) avec Marilyn Monroe et Lauren Bacall.)
(Intemporel, je disais.)
Quand on choisit de
lire une romance, on veut s’évader. Peut-être apprendre quelque chose en
cours de route, mais on veut surtout rêver, si possible fantasmer. On aimerait,
le temps de la lecture, s’identifier à un des personnages, avoir le monde à nos
pieds, vivre dans un monde fait d’amour et d’eau fraîche, où on n’a ni problème
d’argent ni maladies. L’alpha
(milliardaire, surtout) est l’ensemble de tous ces rêves et fantasmes.
J’ai des héros riches et beaux gosses dans mes propres romans, tous genres confondus) : Saffron dans Aujourd’hui ne se termine jamais, Krone dans Tango à minuit, Zacharie dans Place Vendôme en hiver… Je les aime à mort même quand ils ne le méritent pas. Surtout
quand ils ne le méritent pas, d'ailleurs. Je ne suis
pas insensible au charme d'un héros de ce genre (je ne suis qu'humaine, les
gens !).
Je ne vais donc pas
écrire un pamphlet contre les alphas (en plus d’être beaux gosses), ce
n'est pas le but de la manœuvre et c'est assez peu productif, à mon avis, parce
qu'il y a de la place pour tous les
goûts, toutes les envies. Quand
je plonge dans les romances de Lisa Kleypas ou d’Eloisa James, c'est rarement
pour leurs personnages indigents (hint :
il n'y en a pas). Mais cet archétype
occupe tellement le paysage qu'il
laisse très peu de place aux autres personnages.
Alors je vais écrire un plaidoyer
pour tous les autres, les héros des romances feel-good.
Parce que je ne sais pas si vous l’avez remarqué, si le
héros a un travail banal, un salaire moyen et une famille normale (avec ses
particularités), c’est forcément feel-good.
(Combo gagnant pour l’éleveur de brebis dans le Cantal
totalement à la ramasse.)
(J’adore L’amour est
dans le pré.)
Aimer l’alpha
et le voisin d'à côté n'est pas contradictoire.
1. Ces héros qui gagnent un salaire moyen
Heureusement pour nous (la majorité des lectrices), l’amour
et la passion ne sont pas limitées au nombre de zéros après le 1 (et avant la
virgule) sur nos comptes bancaires. L’imagination est démocratique. (La preuve, on écrit, on lit, on s'invente des histoires.) Qu’est-ce que ce serait si nos vies, si on ne pouvait pas être
romantique avec trois bouts de ficelles ?
Littlejohn invite Mel à un pique-nique sur table , sur une terrasse.
Ginie et Tito se retrouvent dans la forêt, au bord de la Seine. Avec des pommes parce que Ginie fait Carême.
On n’est pas tous Krone qui invite Cassandra à manger un dîner de quatre plats et vins assortis dans son château de contes de fées.
(La mangeaille, c’est la vie, au cas où tu ne l’aurais pas
remarqué…)
2. Ces héros qui gagnent moins (que les héroïnes)
Ça rejoint la dominance
habituelle des héros sur tous les pans de leurs vies : ils gagnent
toujours plus que les héroïnes. Évidemment, ils n’occupent pas les mêmes
positions, ils ne travaillent pas dans le même domaine (enfin, ça dépend s’il
s’agit d’une romance de bureau), mais ils sont toujours patrons.
Parfois (soyons réalistes aussi, n’est-ce pas, ce n’est pas
ce qui est le plus commun dans la vraie vie en dehors des romans) les femmes gagnent plus que leurs compagnons, et
c’est OK.
Dans mon entourage (très) proche, il y a deux couples où
l’épouse gagne plus que son mari. Culturellement parlant, c’est une source de
conflit perpétuel et pas uniquement dans le couple, car la perception de la société (de
la famille traditionnelle) peut également peser sur la balance.
Pour ce coup, mea
culpa, mea maxima culpa.
Si Mel et Littlejohn sont à peu près à égalité, Anaëlle est
au chômage et Jade est femme de ménage en situation précaire. Cassandra gagne
bien sa vie, mais elle ne peut pas rivaliser avec un châtelain. J’ai bien Dan qui est la cheffe de Patrice, mais statistiquement, c'est anecdotique…
3. Ces héros qui ne sont pas blancs
Ce n'est pas compliqué de rendre ses personnages plus
sombres de peau ou de brider leurs yeux, ou de leur donner une goutte de sang
d'ailleurs… Non seulement une partie de mes héros ne sont pas blancs comme Mel (La Réelle Hauteur des hommes), Léon et Anaëlle (Les Yeux de Léon), Henriette (Au Sorbier des oiseleurs), Jade (Les Noces de Jade), Louis (Tango à minuit), Iris et Felicia (Un arc-en-ciel dans l'obscurité), Dan et Patrice (Beignets d'ananas au rhum), comme j’ai
également un entourage (très) diversifié.
Parce que c’est mon « normal ».
Parce que c’est mon « normal ».
4. Ces héros qui ne sont pas américains
Les États-Unis font rêver pour leur immensité, pour la
possibilité de réaliser ses rêves, mais il y a 192 autres pays dans le
monde (en tout cas pour l'instant). Voyager est permis (malgré
les difficultés croissantes à obtenir des visas, ahem).
Commentaire à propos du Temps volé de Chloé Duval :
« Les côtes bretonnes ne me font pas rêver. »
Commentaire à propos de Rendez-vous à Pigalle, également de Chloé Duval :
« Le métro à Paris, beurk ! »
Et dire que les
Américains adorent les côtes bretonnes et que c'est d'ailleurs cette touche
qui a fait que Temps volé soit
traduit dans plusieurs langues dont l'anglais ! Nul n'est prophète en son pays, dit-on, et c’est dommage. Je suis
sûre que les côtes du Connecticut et le métro new-yorkais n'auraient pas eu le
même traitement...
On n'est pas obligés de rester en France, non plus. En plus,
je ne suis pas française, alors bon... Pourquoi pas la Scandinavie ? La
Tanzanie ? Le Chili ? Singapour ? On
peut trouver l'amour partout dans le monde, encore heureux, et y réaliser
ses rêves aussi. Ce ne sera peut-être pas aussi speed qu'aux États-Unis (et encore, ça dépend d'où exactement,
comme partout...), mais c'est possible, cela arrive même tous les jours.
Je place beaucoup de mes histoires en France parce que, de
tous les pays où j’ai vécu, c’est en France où j’ai vécu le plus longtemps et
où se trouve une de mes villes de cœur (Montpellier ♥).
L’Angola en particulier et l’Afrique en général manquent encore à l’appel, mais j’y travaille.
L’Angola en particulier et l’Afrique en général manquent encore à l’appel, mais j’y travaille.
5. Ces héros qui ne sont pas beaux
Je ne veux pas dire, mais les « pas si beaux que ça » sont bien plus nombreux que ceux qui sont
extrêmement beaux gosses. Cela ne veut pourtant pas dire qu'ils sont
dépourvus de charme ! La beauté est dans les yeux de celui qui regarde, et
parfois, la beauté physique n'est pas suffisante pour rattraper un crétin (ça,
ce n'est que mon avis...).
Une histoire est gagnante quand elle parvient à
nous faire oublier nos goûts et/ou nos préjugés. Par exemple, je n’ai jamais
trouvé Hugh Grant intéressant, mais dans les films comme Notting Hill, je me prends à l’apprécier, voire même à
l’aimer.
C’est une des raisons pour lesquelles je préfère que les
auteurs décrivent leurs personnages : je veux savoir qui ils ont en tête
et apprendre à les aimer tels qu’ils ont été imaginés. Si je regardais Notting Hill avec un acteur que j’aime
bien (genre Brad Pitt dans Légendes
d’automne), je serais conquise d’avance. Mais le talent d’un romancier /
scénariste, c’est de me faire aimer quelqu’un qui n’est pas du tout mon genre
(Hugh Grant, donc).
Les personnages flous me frustrent. Je
n’ai pas envie de coller un masque sur un acteur au moment d’aller au cinéma
pour que je l’imagine comme je le veux. C’est pour cette raison que je décris Littlejohn avec sa
différence, Léon avec ses poils (!), Jules avec ses brûlures. Selon les canons
habituels, ils ne sont pas beaux, mais j’espère que mes lectrices les aiment
presque autant que moi.
(Littlejohn est extrêmement beau gosse, mais c’est à mes
yeux, il y a des lectrices qui ne sont pas du tout d’accord.) (Oui, il y a des commentaires féroces à ce sujet.)
6. Ces héros qui sont plus jeunes (que les héroïnes)
Je ne sais pas si cela a un rapport avec le présumé décalage
de maturité entre les filles et les garçons, mais à 98 % du temps, les héros sont toujours plus âgés que les
héroïnes, et cet écart peut monter jusqu’à 10+ ans. Il est normal d’avoir
un héros dans la trentaine, mais l’héroïne est souvent dans la vingtaine. Ce n’est
pas un souci en soi, c’est même banal dans la société. J’ai également tendance
à suivre ce schéma (bouh pour moi).
Où sont les jeunes hommes qui tombent amoureux de femmes
plus âgées ? Quand ma grand-mère maternelle a épousé mon grand-père, elle
avait 28 ans et lui en avait 20…
En définitive, une héroïne peut être plus âgée que son love interest, mais d’expérience, elle
ne peut pas approcher la quarantaine. Si, si, c’est un argument donné plus
d’une fois en ce qui concerne ma Dan qui a osé avoir cinquante-deux ans et qui
a le double de l’âge de Patrice.
Je ne sais pas si j’aurais eu droit à un refus aussi
catégorique si Dan était un Dan…
7. Ces héros qui sont puceaux
Je me souviens d'une discussion, à propos de romance
justement, où on disait que ça n'existait pas (dans le monde réel), des
puceaux passés les 25 ans, alors que justement si. Mais vu ce genre de
réaction, tu m'étonnes que ça ne se crie pas sur tous les toits...
C'est incroyable que dans un monde où on prône la
libération du corps et la liberté sexuelle, on ne laisse pas la place à ceux
qui, pour x raisons (religieuses, culturelles, personnelles), ne veulent pas
avoir des relations sexuelles du tout, qui ont fait vœu de chasteté, qui se
réservent pour le mariage, qui attendent le jour parfait, etc. C'est un choix,
une décision, et je ne comprends pas pourquoi ce serait risible par
rapport au choix de participer volontairement à des orgies.
Il n'y a pas que des
filles vierges, il existe également des hommes puceaux, et on ne devrait
pas en faire que des comédies.
J'ai un puceau dans un de mes romans publiés, mais je ne dis pas qui ou dans quel roman parce que ce n'est pas supposé être de notoriété publique... (On l'apprend dans l'histoire.)
J'ai un puceau dans un de mes romans publiés, mais je ne dis pas qui ou dans quel roman parce que ce n'est pas supposé être de notoriété publique... (On l'apprend dans l'histoire.)
8. Ces héros qui sont vulnérables
Pourquoi un héros doit-il être le « chevalier sur son
destrier », prêt à terrasser le dragon façon saint Georges ? Pourquoi
doit-il être le roc de la relation ?
Pourquoi tout pèse sur lui ? L’argent, la position sociale, la
célébrité, la force, etc. ?
Je me souviens un jour, il y a des années (dix ?
quinze ?), où on demandait à Lara Fabian ce qu’elle pensait d’un homme qui
pleurait (aujourd’hui, je me demande pour quelle fichue raison on lui a posé
cette question). La réponse de Lara Fabian m’a tant marquée, que je m’en souviens
parfaitement aujourd’hui encore : « c’est
beau un homme qui pleure, et qui a l’honnêteté de le faire ».
Du coup, pourquoi n’avons-nous pas d’héros plus honnêtes sans qu’ils ne soient vus comme des êtres
fragiles sans charisme ?
Littlejohn est mon héros le plus vulnérable, sans aucun doute et loin devant. Sans Mel, je
ne sais pas dans quel état je le récupérerais, pourtant, il y a une certaine force à être aussi vulnérable...
9. Ces héros qui ne sont pas traumatisés
Okay.
Là, je me tire une belle balle dans le pied, j’ai un faible pour des héros avec des cicatrices, alors je me pose la question à moi aussi : où sont les héros qui ne viennent pas de familles dysfonctionnelles, qui n’ont pas eu de relations abusives ou de divorces catastrophiques, qui n’ont pas été victime d’un accident ?
Là, je me tire une belle balle dans le pied, j’ai un faible pour des héros avec des cicatrices, alors je me pose la question à moi aussi : où sont les héros qui ne viennent pas de familles dysfonctionnelles, qui n’ont pas eu de relations abusives ou de divorces catastrophiques, qui n’ont pas été victime d’un accident ?
Je ne sais pas, mais j’y travaille.
(Laissez-moi corriger, bis.)
10. Ces héros qui sont différents
Un commentaire à propos de La Réelle Hauteur des hommes.
« Quand j'ai découvert le secret de Littlejohn, j'ai
abandonné le livre. Ça ne me fait pas rêver du tout ! »
Un commentaire à propos d'un roman de Sara Agnès L. où
il est également question de handicap :
« Ça aurait été mieux s'il n'était pas dans un fauteuil
roulant. »
Ces critiques sont celles qui me dérangent le plus, comme si
seuls les valides avaient droit à être sexy et à être aimés. Et ça me dérange
tellement que je préfère ne pas m’attarder.
EN RÉSUMÉ
Un/e auteur/e/trice a le droit d'écrire ce qu'il/elle veut,
comme il/elle veut.
La liberté de
création est primordiale et cela ne me passerait jamais par la tête
d'exiger (lol) que quelqu'un place son histoire là d'où il vient. Ce serait
doublement hypocrite, de ma part, non seulement parce que je situe rarement mes
affaires en Angola et parce que j'ai des héros qui sont parfois américains /
richissimes / BG / playboy / etc.
(Je suis humaine, etc.)
Ce que je demande c'est juste de donner la chance aux autres auteurs/es/trices, qui nous plongent dans
le RER parisien ou dans un chalet au Québec.
Dans l'univers des possibles, il est plus probable de croiser ceux-là plutôt qu'un milliardaire (beau
gosse ou pas) et on a parfois besoin de lire une histoire qui pourrait nous
arriver.
J'adorerais savoir que la personne que je croise dans la rue
est en train de vivre une histoire d'amour exceptionnelle. J'aimerais qu'on
puisse avoir droit à des histoires superbes tout en étant instit, notaire, kiné, secrétaire, blogueur ou
chômeur.
Ce n'est pas
parce qu'on ne vit pas dans un palace qu'on n'a pas le droit à une vie de rêve.