UN GOÛT DE DEUXIÈME CHANCE

Je m'appelle Gage, et il y a treize ans, je suis tombé amoureux.
Alors que la guerre était sur le point d'éclater en Afrique Australe, je croise la route d'Indira, une des plus belles femmes que j'ai jamais vue. Nous étions jeunes, nous nous sommes laissés happer par la fièvre de notre fausse insouciance. Mais Indira était idéaliste et moi… je ne l'étais pas du tout. Notre séparation se passe dans le sang et je disparais sans laisser d'adresse ni même mon vrai nom.
Treize ans plus tard, je suis de retour.
Depuis que je suis parti, j'ai l'impression de vivre dans des limbes, avec un vide dans la poitrine et un chapitre inachevé. À quelques jours de Noël, dans l'espoir d'enfin tourner la page, je passe un entretien d'embauche dans une nouvelle société de protection et ma vie bascule.
En rentrant au bout du monde, je retrouve la seule femme que j'ai aimée.
Je découvre que je n'ai pas juste laissé des cœurs et des corps brisés, derrière moi.
J'ai également laissé une partie de moi.
Mon ADN.
Et mes yeux verts.
Je m'appelle Gage, je viens de découvrir que j'ai un fils de treize ans.
Comment vais-je faire pour réparer tout ce que j'ai brisé ?

Un ancien mercenaire + une ancienne idéaliste + un nouvel adolescent = Noël aura un goût de deuxième chance.

Acheter / emprunter sur Amazon

Deuxième chance
Premier amour
Enfant secret

Correction :
Nora Cayeux

Couverture :
Lydie Wallon / 2Li

15 novembre 2025
365 pages / 88 000 mots

Broché : 18 €
ISBN : 9798271531651

Numérique : 5,99 €
ISBN : 9782958768430

Indira Naidoo

Anglo-Australafricaine
32 ans
Psychologue scolaire
Célibataire, 1 enfant
Polathuu, Afrique Australe

Gage Winters

Américain
34 ans
Spécialiste sécurité
Célibataire, 1 enfant
Miami, États-Unis

Lire le premier chapitre : Décembre à Polathuu, point de vue de Gage

C’est la première fois en treize ans que je reviens en Afrique Australe, mais certaines choses n’ont pas changé. Westgate Avenue continue d’être la colonne vertébrale de la capitale, la traversant du nord au sud. Les embouteillages provoquent une cacophonie de klaxons et sont une aubaine pour les vendeurs ambulants. Si je n’avais pas un entretien d’embauche dans un quart d’heure, j’aurais acheté du maïs grillé à la dame qui circule entre les voitures.

Depuis que je suis parti, je me suis toujours dit que je reviendrais un jour, pour voir, pour retracer mes pas, pour construire de nouveaux souvenirs par-dessus les anciens. Le chapitre en cours dans le livre de ma vie a treize ans et, peu importent les brouillons, je n’ai jamais réussi à écrire la dernière ligne, je n’ai jamais réussi à tourner la page. Je ne sais pas si un jour j’y parviendrais. Un retour au bout du monde était prévu, sans date déterminée, et je me suis laissé toujours entraîner par des contrats qui rapportaient des millions aux quatre coins du monde. Je n’ai pas besoin d’un psychologue pour savoir que je ne faisais que fuir les conséquences de mes actes.

Lorsque je suis tombé sur l’offre de Sentry Protection, une nouvelle société de sécurité, j’ai sauté sur l’occasion. J’ai perçu cette annonce comme un signe, de Dieu ou de l’univers, je ne sais pas trop, je ne crois pas en grand-chose, mais signe tout de même. Revenir en Afrique Australe pour des raisons plus nobles, plus dignes, serait un bon début pour le nouveau chapitre de ma vie. Je pourrais enfin faire quelque chose avec le vide dans ma poitrine.

C’est au croisement entre Westgate Avenue et Major Street, pile au cœur du centre-ville, que se situe le bureau de Sentry Protection. Je pousse la porte en verre fumé. Une femme blanche d’âge mûr, à la chevelure rousse striée de gris et avec des yeux clairs, est assise derrière le comptoir d’accueil à ma gauche. Le temps que la porte se referme dans mon dos, j’étudie les deux hommes musclés, un blond et un Noir, dans le coin café. Ils portent tous les deux un t-shirt et un pantalon cargo beige, et ont des mugs à la main. Je les salue d’un bref geste de la tête avant de me tourner vers la dame. Le sapin décoré en miniature au bout du comptoir est un rappel que, malgré les trente degrés à l’ombre, c’est bientôt Noël.

— Bonjour.

— Dumela, je suis Fiona, répond-elle avec un sourire. En quoi puis-je vous aider ?

— Je suis Gage Winters, j’ai rendez-vous avec Cobra Naidoo.

— Gage, nous vous attendions. Suivez-moi.

— Merci.

Elle se lève de son siège, petit bout de femme qui m’arrive à l’épaule, et passe devant moi.

— Voici Bond et Wolf, annonce-t-elle quand nous approchons les deux hommes. Gage va passer un entretien avec Cobra.

— Je pensais que les entretiens se passaient par visio-conférence, note Bond, le blond, en arquant un sourcil.

Il est anglais, bien sûr.

— J’étais déjà sur place, éludé-je.

Dans la version la plus longue, j’avais juste besoin de l’entretien pour enfin prendre l’avion. Avec ou sans l’embauche, je passerai Noël à faire le tour de l’Afrique Australe en voiture. Ne serait-ce que pour dire « adieu ».

— Est-ce que je te sers une bouteille d’eau, Gage ? demande Fiona. Du thé ? Un café ?

— Non, merci, refusé-je.

Fiona m’indique alors la salle de réunion.

— Je vais appeler Cobra, me dit-elle.

— Merci.

Elle referme la porte.

Avant de m’installer à la table, entourée d’une dizaine de chaises, je pose mon sac à dos et me dirige vers le mur en face totalement couvert par du papier peint qui est en réalité une photographie grandeur nature d’une femme originaire d’Asie du Sud et de cinq hommes : Bond, deux d’Asie de l’Est, et deux Noirs. Il n’y a pas de portraits des fondateurs sur le site de Sentry Protection au-delà de cette photographie : tous les six entourent une Jeep Wrangler et sont entièrement couverts de poussière. Cependant, à cette échelle, la seule femme du groupe me semble familière.

Sur le mur de gauche, par-dessus un meuble de rangement, il y a des dizaines de photographies accrochées et je me dirige vers elles quand une voix féminine se fait entendre :

— Vous n’êtes pas attendus quelque part ?

Je me retourne. Fiona est très probablement américaine comme moi, mais cet accent-ci est très britannique.

— On a le temps d’accueillir le nouveau, dit Wolf.

— Vous avez un boulot, si vous voulez bien vous donner la peine.

— Bien reçu, boss, répond Bond.

La porte de la salle de réunion s’ouvre alors et l’air se coince dans mes poumons.

Je suis incapable de cacher ma réaction devant la femme de la photographie. Elle doit mesurer un peu plus d’un mètre quatre-vingts et, comme Bond et Wolf, elle porte un t-shirt, un pantalon cargo beige et des rangers. Les manches retroussées de son t-shirt dévoilent ses bras fins aux muscles définis. Quand elle referme la porte, une longue tresse noire balance dans son dos.

— Sabrina…, bredouillé-je, surpris.

Ses yeux sombres brillent de larmes contenues, son sourire s’épanouit sur ses lèvres. Elle est une des deux plus belles femmes que j’ai jamais vues de ma vie. C’était vrai il y a treize ans, cela l’est davantage aujourd’hui.

— Salut, John…, murmure-t-elle.

Ce nom me traverse comme un coup de poignard.

Peu importe ce que j’ai vécu par la suite, peu importent les blessures, les pertes…, c’est cette page que je n’ai jamais réussi à tourner, faisant du reste de ma vie un immense brouillon sans texte défini.

— Gage, rectifié-je, la voix enrouée. Mon vrai prénom est Gage.

Sabrina me montre la tablette dorée qu’elle porte à la main avec un sourire triste.

— Ça fait treize ans que tu es John pour nous. Et, depuis que j’ai eu ton CV dans les mains, tu n’as pas encore cessé d’être John.

J’étudie son visage, aussi beau que celui de sa sœur, et mon cœur se resserre à un point que j’avais oublié que c’était possible de ressentir quelque chose de cette façon. Puis je me souviens où je suis, pourquoi je suis là. Wolf l’a appelée « boss ».

Mon regard s’arrête sur la tablette.

Mon CV.

Merde.

— Tu es Cobra, comprends-je.

— Je suis Cobra, confirme-t-elle.

Je ferme les yeux. La Sabrina adolescente me revient en mémoire, mais ce n’est pas très dur. Elle et Indira sont constamment dans mon esprit, les images sont vives comme s’il s’agissait d’hier. Nous étions jeunes, tous les trois, mais Sabrina n’avait que seize ans.

— Avant de passer aux choses sérieuses, il y a quelque chose que je n’ai pas pu faire il y a toutes ces années, et il n’y a pas un seul jour où je n’y pense pas, me dit-elle en posant sa tablette.

Sabrina s’approche de moi et passe les bras autour de mes épaules. Par réflexe, j’entoure sa taille. Quand elle resserre son étreinte, je fais de même. Elle a à peine quelques centimètres de moins que moi.

Je l’ai touchée deux fois dans ma vie : la première fois, je la portais à moitié inconsciente et se vidant de son sang ; la seconde, j’ai tenu sa main lorsqu’elle était dans son lit d’hôpital. Une étreinte, c’est mieux, tellement mieux. Je ne savais pas que j’en avais eu autant besoin.

— Merci…, chuchote Sabrina à mon oreille.

Je ferme les yeux, la presse contre moi.

— Pardon, soufflé-je. Pardon. Je vous ai mises en danger, toutes les deux. Tu as failli mourir parce que je suis tombé amoureux de ta sœur.

— Et tu nous as sauvées, me rappelle-t-elle. Tu m’as sauvée. Et je suis là. Et je suis devenue Cobra.

— Bordel, tu as fait l’armée.

— Sept ans au service de Sa Majesté, précise-t-elle en s’écartant sans pour autant relâcher mes épaules.

Je chasse les souvenirs en clignant des yeux.

— Tu vas bien ? m’enquiers-je d’une voix basse.

— Je vais très bien.

Mes doigts s’agrippent à sa taille.

— Et… Indira ?

Un voile couvre son regard en même temps que son corps se tend. C’est furtif mais suffisant pour que ma respiration se saccade.

— Elle va bien, finit-elle par dire.

Je veux lui demander ce que c’était, cette hésitation, mais je me retiens. Quand Sabrina s’est réveillée après son opération, encore souffrante mais hors de danger, je suis parti. Sans laisser d’adresse. Sans même leur donner mon vrai nom. Rien. Alors je n’ai le droit à rien, moi non plus.

Sabrina s’écarte et me fait signe de m’asseoir.

— Veux-tu boire quelque chose ?

Là, j’aurais eu besoin d’un shot de rhum.

— De l’eau, s’il te plaît.

Sabrina ouvre la porte.

— Baby ! hèle-t-elle.

Il va falloir que je me réhabitue aux prénoms fantasques australafricains.

Une jeune femme noire fait son apparition en sautillant. Elle porte la même tenue que Sabrina et les autres, mais elle n’a clairement pas fait l’armée.

— Dumela ! me salue-t-elle.

— Dumela, réponds-je.

— Baby, prends-nous de l’eau fraîche et appelle Queen et San pour l’entretien, s’il te plaît, demande Sabrina.

— Bien reçu !

Baby n’a pas fait l’armée, mais elle les a fréquentés.

Sabrina referme la porte et s’installe en face de moi.

— J’aimerais qu’on prenne le temps pour discuter, mais ce sera pour plus tard, dit-elle. Tu comptes pour moi, notre passé compte pour moi, mais tu n’as pas droit à du favoritisme de ma part.

— Je ne m’attendais pas à autre chose.

— Par contre, je vais avoir besoin d’un peu de temps pour penser à toi en tant que « Gage », admet-elle avec une grimace.

— Prends le temps qu’il te faut. J’aurai bien besoin d’un temps pour t’appeler Cobra.

— Tu as de la chance, je réponds aux deux, s’amuse Sabrina. J’ai de multiples personnalités.

Elle détache le stylet de sa tablette et je note la bague en or jaune, or rose et cuivre à son annulaire gauche.

— Tu es mariée ? lui demandé-je.

— Fiancée. Le pauvre.

Je laisse échapper un rire rauque.

Et Indira ?

Est-elle mariée ?

A-t-elle des enfants ?

Est-elle heureuse ?

La porte s’ouvre dans le dos de Sabrina. Un homme d’origine est-asiatique, que je reconnais de la photographie, et un autre d’origine sud-asiatique avec un turban sikh, entrent dans la pièce. Le premier me tend la main ; je me lève pour la serrer.

— Queen Watanabe, se présente-t-il avant de prendre place à la tête de la table.

— Sandeep Singh, fait le second.

Il s’assied à côté de Sabrina et je retrouve mon siège.

Mon cœur n’a jamais battu aussi fort. Pour me donner une contenance, je sors ma chemise plastique de mon sac à dos en même temps que les nouveaux arrivés allument leurs tablettes. Baby entre dans la salle avec des bouteilles d’eau fraîche et des verres sur un plateau qu’elle pose sur la table, puis repart.

— Queen est le grand patron et mon associé, et Sandeep est notre adjoint, m’informe Sabrina. Avant qu’on ne commence cet entretien, je tiens à signaler que Gage ne m’est pas inconnu. Il a sauvé ma vie, il y a treize ans, mais je ne veux pas que ça influence quoi que ce soit dans nos discussions et dans vos jugements.

Sabrina et Queen échangent un regard, je perçois le « non » de la tête de Sabrina.

— Je sais qui tu es, reprend-elle en me fixant. Je sais pourquoi tu étais ici quand la guerre a éclaté, je sais ce que tu as fait, et je sais pourquoi tu es parti. Nous avons ton CV, mais quel est le pourcentage de faux ?

J’étais tellement prêt à tout, sauf à devoir en parler à Sabrina. Je déglutis péniblement, prends une des bouteilles d’eau.

J’ai affronté des milliers d’hommes avides de sang cette dernière décennie, mais jamais je n’ai ressenti cette appréhension. Devant moi, ce n’est plus Sabrina, l’adolescente innocente dont la naïveté avait toujours eu le don d’irriter Indira. Il s’agit de Cobra, la militaire. Son sourire a disparu, l’éclat de ses yeux idem. La gravité de son expression me remet à ma place. Si je suis ici, c’est pour qu’elle soit ma patronne.

La vie me surprendra toujours et rarement de façon positive. Je suis heureux de revoir Sabrina, mais…

— Je vais porter un jugement, poursuit-elle. Mais nous avons tous participé à plus d’une guerre, nous avons tous fait des choses contraires à nos valeurs, nous nous sommes tous sacrifiés d’une façon ou d’une autre et nous en gardons les séquelles. Si on voulait être en paix avec notre conscience, on n’aurait jamais dû s’engager où que ce soit. Je dois pourtant savoir si nous pouvons te faire confiance aujourd’hui.

— Je comprends, accepté-je en hochant la tête.

— Je veux connaître tes secrets. Non pas pour ce que tu représentes pour moi, pour la dette que je ressens envers toi, mais parce que nous devons travailler avec toi. Je veux des précisions sur ce que tu as fait, où tu es allé, jusqu’où tu as fait ce qu’on t’a demandé de faire, si tu as des ennemis et si ça risque de nous tomber dessus en plein milieu d’une mission. Si tu ne peux pas répondre à ces questions, si tu ne peux pas nous rassurer, nous ne pouvons pas t’avoir dans nos rues. C’est même le contraire. C’est bon pour toi ?

J’inspire profondément, mâchoire crispée, et hoche la tête.

— Je vais répondre à toutes vos questions.